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Le Cri des Peuples

Norman Finkelstein : l’ONU a établi que Gaza subit un génocide prémédité, et non une guerre

Par lecridespeuples le 6 octobre 2025

Commentaire sur le dernier rapport de l’ONU sur Gaza.

Par Norman Finkelstein, le 22 septembre 2025

Source : normanfinkelstein.com

Traduction : lecridespeuples.substack.com

Je consacre un chapitre de mon prochain livre, Gaza’s Gravediggers (Les fossoyeurs de Gaza), à l’idée que qualifier la situation à Gaza de « guerre » plutôt que de « génocide » déforme de manière flagrante la réalité. Dans la postface de ce chapitre, reproduite ci-dessous, je commente le nouveau rapport de l’ONU concluant qu’Israël commet un génocide à Gaza.

En septembre 2025, la Commission d’enquête internationale indépendante a publié un nouveau rapport concluant qu’Israël commettait un génocide à Gaza [1].

Elle est parvenue à cette conclusion après avoir abondamment documenté (à partir de sources onusiennes et d’organisations de défense des droits de l'homme reconnues) qu’Israël avait sciemment commis des actes définis à l’article II de la Convention sur le génocide de 1948 :

  • tuer des membres du groupe ;

  • infliger des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

  • soumettre délibérément le groupe à des conditions d’existence calculées pour entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

  • imposer des mesures destinées à entraver les naissances au sein du groupe,

  • et ce, « dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel » [2].

Le rapport répondait explicitement à l’argument d’Israël selon lequel il menait une « guerre d’autodéfense » contre le Hamas [3].

Il concluait qu’au contraire, si l’on cessait d’examiner des incidents « isolés » ou « individuels » pour se concentrer sur

  • la « totalité » ou la « situation factuelle globale » de l’assaut israélien [4] ;

  • le nombre absolu de Gazaouis tués et blessés et la proportion de civils par rapport aux combattants [5] ;

  • le ciblage systématique des civils le long des routes d’évacuation et dans les zones dites de sécurité [6] ;

  • le ciblage systématique des habitations, des infrastructures vitales et des établissements de santé (ainsi que du personnel médical) [7] ;

  • le refus délibéré de fournir à la population civile les produits de première nécessité (nourriture, eau, carburant, électricité, médicaments) et le recours à « la famine comme méthode de guerre » [8] ;

  • le ciblage systématique des enfants, y compris des « tout-petits », à la tête et à la poitrine [9], de même que celui de la seule clinique de fécondation in vitro de Gaza [10] ;

  • le ciblage systématique des sites culturels, éducatifs et religieux[11] ;

  • ou encore le recours systématique à la violence sexuelle et sexiste, y compris « de nombreux cas de viol » [12],

alors il devenait impossible de concilier cette « situation factuelle globale » avec l’idée d’une « guerre » défensive contre le Hamas.

Voir Norman Finkelstein sur le 7 octobre : ‘Je crache sur tous ceux qui condamnent la révolte du camp de concentration de Gaza’ 

Le rapport a donc écarté la terminologie du droit de la guerre. Ainsi, il ne comporte aucune mention d’attaques « disproportionnées ». Une attaque disproportionnée suppose qu’une cible militaire légitime a été visée, mais qu’un nombre excessif de civils a été tué. Or, le rapport a constaté que, dans l’écrasante majorité des cas, c’étaient la population civile et les infrastructures de Gaza qui étaient délibérément prises pour cibles. En réalité, les morts et les destructions massives étaient proportionnées à l’objectif génocidaire d’Israël.

De plus, le rapport ne s’attarde que rarement sur les affirmations israéliennes selon lesquelles telle ou telle attaque aurait visé le Hamas [13] : à l’échelle de l’ensemble des morts et destructions infligées à Gaza, les incidents meurtriers où un combattant du Hamas aurait pu se trouver apparaissent dérisoires et insignifiants [14].

La conclusion du rapport est que la quantité (le nombre absolu) et la qualité (le choix des cibles) des attaques israéliennes ne peuvent être conciliées avec le paradigme d’une guerre : « Il n’existait aucune nécessité militaire susceptible de justifier un tel comportement » [15].

Il était manifeste que ce n’était pas le Hamas, mais bien l’ensemble de la population de Gaza qui était visé ; en définitive, l’aspect « guerre » des hostilités relevait de la pure fiction [16].

Le corps du chapitre expliquait que le droit de la guerre et le cadre juridique du génocide sont mutuellement antithétiques. Le dernier rapport de la Commission l’a confirmé : en concluant qu’Israël commettait un génocide à Gaza, elle a délibérément écarté le langage et la méthodologie d’enquête propres à une situation de « guerre ».

Pour étayer sa conclusion selon laquelle Israël commettait un génocide à Gaza, la Commission devait démontrer non seulement qu’Israël avait sciemment commis les actes énumérés à l’article II de la Convention, mais aussi que l’ « intention » derrière ces actes était de détruire physiquement la population de Gaza.

Le rapport a établi, dès le lendemain du 7 octobre,

  • que de hauts responsables israéliens avaient, à de multiples reprises, tenu des propos à caractère génocidaire [17] ;

  • que les forces de sécurité israéliennes dépêchées à Gaza avaient compris ces déclarations comme des ordres génocidaires ;

  • qu'elles n’avaient fait l’objet d’« aucune enquête ni poursuite authentique » pour les actes prohibés par la Convention ;

  • et qu’au contraire, les responsables israéliens « encourageaient, autorisaient et permettaient la poursuite de ces comportements criminels » [18] ;

  • que l’intention génocidaire d’Israël pouvait raisonnablement être déduite à la fois de la quantité et de la nature des crimes commis par ses forces armées [19].

Le rapport conclut donc que « les dirigeants politiques et militaires israéliens ont l’intention spécifique de commettre un génocide contre les Palestiniens de Gaza, sur la base de leurs déclarations et du comportement de leurs subordonnés depuis le 7 octobre 2023 » [20].

Voir Cour internationale de justice : les intentions génocidaires d'Israël à Gaza

Une analyse légèrement plus nuancée pourrait toutefois s’énoncer comme suit :

Israël a délibérément commis des actes qui ont nécessairement conduit à la destruction de la population de Gaza. Les morts et les destructions massives qu’il a inévitablement infligées trouvent leur origine dans :
  • une vengeance primitive [21],
  • le besoin ressenti par Israël de restaurer la crainte qu’il inspire au monde arabe [22],
  • sa détermination à « résoudre » une fois pour toutes la question de Gaza, une occasion historique longtemps convoitée, puis miraculeusement offerte le 7 octobre, qu’Israël était fermement résolu à exploiter jusqu’au bout, quoi qu’il advienne.
Le génocide a commencé immédiatement après l’attaque du Hamas : les premières déclarations publiques des hauts responsables israéliens annonçaient parfaitement, voire sinistrement, ce qui allait se dérouler au cours des deux années suivantes. Mais il a nécessairement été calibré pour tenir compte de la réaction internationale. Si Israël n’a pas purement et simplement anéanti Gaza à l'arme nucléaire, c’est parce qu’il ne le pouvait pas, contraint, quoique faiblement, par les aléas de l’opinion publique mondiale.
Même si l’objectif principal d’Israël n’était pas l’anéantissement complet, mais plutôt le nettoyage ethnique des Gazaouis [23], il était prêt à tuer autant de civils et à détruire autant d’infrastructures que politiquement possible, afin de « persuader » la population de partir ou de « convaincre » la communauté internationale de l’accueillir.
Il ne s’agit pas là de vaine spéculation, mais d’un fait accompli : Israël a déjà commis un génocide à Gaza.
En l’absence de contraintes politiques extérieures, et si les Gazaouis se montrent réticents ou incapables de partir, alors Israël (son gouvernement, ses dirigeants, et la société juive israélienne dans son ensemble, car il s’agissait d’un projet national) ne reculera pas devant la destruction totale de la population de Gaza. Bien au contraire. Si nécessaire, Israël ne se contentera pas d’ « avoir l’intention de détruire, en tout ou en partie, » la population de Gaza : il se réjouira ouvertement de cette perspective et la savourera pleinement.
Alors que Heinrich Himmler, conscient à un certain niveau de sa culpabilité, feignait l’angoisse dans son tristement célèbre discours de Posen sur le lourd fardeau que l’Histoire faisait peser sur l’Allemagne pour débarrasser le monde des Juifs, les forces de sécurité israéliennes, elles, ont dansé la hora avant d’exhiber leurs crimes sur les réseaux sociaux.
C’était l’euphorie d’un enfant, une loupe à la main, brûlant vives des fourmis.

Voir également l'analyse de Norman Finkelstein sur le plan de Trump pour Gaza et sa réfutation des allégations de viol qui auraient été perpétrés par le Hamas le 7 octobre

NOTES

[1] Analyse juridique du comportement d’Israël à Gaza au regard de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, document de séance de la Commission d’enquête internationale indépendante sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël (16 septembre 2025, A/HRC/60/CRP.3 ; https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/hrbodies/hrcouncil/sessions-regular/session60/advance-version/a-hrc-60-crp-3.pdf)

[2] La Commission n’a trouvé aucune preuve d’un cinquième acte défini à l’article II, à savoir « le transfert forcé d’enfants du groupe vers un autre groupe » (Analyse juridique, par. 16).

[3] Ibid., par. 177.

[4] Ibid., par. 144, 158, 160, 254.

[5] Ibid., par. 180-186 ; voir également ibid., par. 48, 50. Un rapport classifié des services de renseignement israéliens a conclu que 83 % des Gazaouis tués étaient des civils (ibid., par. 21, 180).

[6] Ibid., par. 182 ; voir également ibid., par. 49, 58-59.

[7] Ibid., par. 187, 204-208 ; voir également ibid., par. 87-90, 93-106. Un expert militaire a déclaré qu’« Israël largue [davantage de bombes] en moins d’une semaine que les États-Unis n’en larguaient en Afghanistan en une année, dans une zone bien plus petite et beaucoup plus densément peuplée » (ibid., par. 22).

[8] Ibid., par. 190-203 ; voir également ibid., par. 48, 85-86, 96, 100, 104, 110-126. Le rapport souligne que « le refus d’autoriser l’entrée d’un lait spécial pour nourrissons, entraînant la famine des nouveau-nés et des jeunes enfants, constitue une preuve particulièrement probante de l’intention de détruire la population » (ibid., par. 190).

[9] Ibid., par. 214-219 ; voir également ibid., par. 28, 30, 32, 46, 56 (« tout-petits » aux par. 28, 215). Le rapport observe que « le ciblage d’enfants est un élément pertinent pour inférer l’intention génocidaire des autorités israéliennes, car […] le ciblage massif et délibéré d’enfants palestiniens montre que les opérations militaires n’ont pas été menées uniquement dans le but de vaincre le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens, et qu’elles ne peuvent pas non plus contribuer légitimement aux autres objectifs déclarés de défense de l’État d’Israël et de libération des otages israéliens » (ibid., par. 218). Dans le même ordre d’idées, le Commissaire général de l’UNRWA a déclaré que « chaque jour, dix enfants ont perdu une jambe ou les deux pendant la guerre », et une autre agence des Nations Unies a signalé que « Gaza abrite la plus importante cohorte d’enfants amputés de l’histoire moderne » (ibid., par. 53, 214).

[10] Ibid., par. 207 ; voir également ibid., par. 57, 79, 151-154.

[11] Ibid., par. 188-189 ; voir également ibid., par. 91-92, 146.

[12] Ibid., par. 209-213 ; voir également ibid., par. 65-71 (« de nombreux cas » au par. 66), 73, 80. Le rapport indique que « la nature et l’ampleur de ces actes [de violence sexuelle et fondée sur le genre] ne corroborent pas et ne peuvent justifier les affirmations d’Israël selon lesquelles ses opérations militaires ont été menées dans le cadre de la légitime défense, pour vaincre le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens, ou pour obtenir la libération des otages israéliens » (ibid., par. 212).

[13] Ibid., par. 35-44, 95, 103, 118, 185. Incidemment, l’alibi israélien n'a tenu que dans un seul cas, et encore partiellement.

[14] Les détracteurs d’Israël se sont concentrés sur son utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pour éliminer des militants présumés du Hamas alors qu’ils rentraient chez eux, tuant ainsi de nombreux membres de leur famille. Voir Yuval Abraham, « Lavender : la machine d’IA qui dirige les bombardements israéliens à Gaza », +972 Magazine (3 avril 2024). Mais cela aussi était largement hors de propos, et constituait une diversion : bien avant l’apparition de l’IA, Israël tuait déjà régulièrement de nombreux civils en ciblant des militants présumés du Hamas dans des quartiers civils densément peuplés. Sur plus de 200 000 habitations gazaouies endommagées ou détruites depuis le 7 octobre, il est peu plausible que l’IA ait été impliquée dans plus qu’une infime fraction des attaques. S’attarder sur l’utilisation de l’IA pour traquer les militants présumés du Hamas a occulté l’essentiel : Israël ne visait même pas le Hamas, mais bien la population civile dans son ensemble. Le crime n’était pas qu’Israël ait mené des attaques disproportionnées, où un nombre excessif de civils furent tués en visant le Hamas, mais qu’il ait commis un génocide en visant non pas le Hamas, mais le peuple de Gaza.

[15] Analyse juridique, par. 179.

[16] Une comparaison révélatrice est que, sur la période de mars à août 2025, 50 Israéliens ont été tués contre 12 000 Gazaouis, dont 11 000 civils. Un ratio global de 1 pour 240, ou un ratio de combattants de 1 pour 20, dénote au minimum un massacre ou une extermination, et non une guerre. Le nombre de militants du Hamas tués peut lui-même être trompeur : la plupart ne sont certainement pas morts sur le champ de bataille, mais aux côtés de civils gazaouis lors de l’assaut génocidaire mené par Israël. Pour les données chiffrées, voir International Crisis Group, The World’s Shame in Gaza (2 septembre 2025), et ACLED (Armed Conflict Location and Event Data), « Gaza after Two Years » (17 septembre 2025).

[17] Analyse juridique, par. 221-233 ; voir également les par. 162-176.

[18] Ibid., par. 163, 184, 232, 237, 242.

[19] « Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, la Commission a conclu que les autorités israéliennes étaient conscientes de la forte probabilité que leurs opérations militaires, l’imposition d’un siège total — y compris le blocage de l’aide humanitaire à Gaza — et la destruction de logements ainsi que de systèmes et d’installations de santé entraînent la destruction physique des Palestiniens, en tout ou en partie, à Gaza. Il est important de noter qu’en ce qui concerne le blocage de l’aide humanitaire, les autorités israéliennes ont été averties par la Cour internationale de justice, le Conseil de sécurité et divers experts et organisations de défense des droits de l'homme. [...] La Commission conclut donc que les autorités israéliennes ont sciemment et délibérément imposé de telles conditions de vie afin de provoquer la destruction des Palestiniens à Gaza. » Ou encore : « [L]a Commission estime que l’intention génocidaire était la seule conclusion raisonnable pouvant être tirée du comportement des autorités israéliennes » (ibid., par. 144, 220).

[20] Ibid., par. 238.

[21] « La vengeance est une grande valeur. Il y a une vengeance pour ce qu’ils nous ont fait. [...] Dans cent ans, ils sauront qu’il ne faut pas s’en prendre aux Juifs. » Déclaration d'un haut responsable des forces de sécurité israéliennes (ibid., par. 173).

[22] « Le fait que 50 000 personnes aient déjà été tuées à Gaza est nécessaire et indispensable pour les générations futures. [...] Elles ont besoin d’une Nakba de temps en temps pour en ressentir le prix » Déclaration du chef du renseignement militaire israélien (ibid., par. 175).

[23] Le rapport déduit à tort que l’intention d’Israël était « d’emprisonner les Palestiniens à Gaza, en créant des conditions qui les empêcheraient de s’échapper et conduiraient finalement à leur destruction » (ibid., par. 201).

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